Alexandra Gélinas
Céramiste , Modeleur-mouleur
Biographie
La céramique véhicule quelque chose de profond qui m’interpelle, quelque chose de viscéral. C’est une matière qui traverse le temps. D’abord littéralement parce qu’étant inerte, elle vieillit très bien sans se détériorer. Ensuite figurativement puisque son emploi dans nos objets fait écho à la longue histoire de son usage par l’homme. J’aime ses nombreuses dualités. Elle évoque la familiarité de la matière brute, voire primitive, aussi bien que le raffinement de l’objet savamment pensé et construit. Elle est délicate et précieuse, bien qu’elle soit utilitaire et résistante. Enfin, j’aime sa froide sensualité de pierre tout autant que la chaleur qu’elle renvoie à travers les formes qu’on lui donne.
Je complétais un baccalauréat en design industriel à l’UdeM lorsque je me suis d’abord intéressé à cette matière. Je me formais alors à envisager l’objet sous les questions de besoins, fonctions, usages, et cycle de vie. En plus d’apprendre les méthodologies permettant de concevoir en intégrant ces enjeux dans un processus de design cohérent, je me familiarisais aux diverses techniques de fabrication et d’assemblage. Une partie importante du cursus était aussi consacrée à l’éventail de matériaux envisageable en fonction de leurs propriétés : bois, plastique, métaux, textile, carton et papier, etc. Ce qui m’a frappé, c’est que sur cette palette d’éléments qu’on apprenait à maîtriser, la céramique était complètement absente. J’ai en outre remarqué que cette dernière n’était presque jamais employée par les designers au Québec. J’en ai compris depuis que si on ne l’utilise pas parce qu’on ne l’enseigne pas, le contraire est aussi vrai. J’ai cherché à satisfaire ma curiosité et à pallier à ce que je considérais comme une lacune à travers mon projet final s’échelonnant sur une période d’un an. Koen de Winter, designer spécialiste en céramique et enseignant en design à L’UQAM alors à la retraite, a gracieusement accepté de devenir mon tuteur pour ce projet de fin d’études. Source intarissable de savoir, ce dernier m’a aiguillée sur les aspects techniques. À son contact, j’ai aussi constaté que la céramique avait une longue et passionnante histoire ancrée sur notre territoire. Des réputés fabricants montréalais de pipes en céramique, en passant par Céramique de Beauce qui offrait aux fermiers un revenu d’appoints l’hiver, jusqu’à SIAL qui produisait une vaisselle de qualité dans les années 80, la céramique faisait encore partie de notre patrimoine de savoir-faire il y a pas si longtemps. Aujourd’hui la pratique au Québec est presque exclusivement artisanale. Les procédés plus techniques qui m’intéressent ont pour la plupart été délaissés au profit de méthodes plus expressives. Dans le meilleur des cas, elles ne sont qu’abordées sommairement dans les écoles. L’accès local à cette expertise se tarit à mesure que ceux qui savent vieillissent. Bien sûr, tout n’est pas perdu. J’ai eu la chance de faire un stage chez Julie Duguay qui utilise le coulage comme méthode de production. J’ai aussi pu suivre une formation chez Louise Bousquet, l’une des seules au Canada à utiliser l’élégante, mais non moins exigeante porcelaine dure. J’ai également beaucoup appris par l’entremise de son associé Guy Maynard, maître mouleur à Limoges en France. Après quelques années à exercer mon métier de designer pour une grosse entreprise d’éclairage architectural tout en rêvant de céramique, j’ai quitté pour suivre cette passion qui m’habite et j’ai démarré mon entreprise, Studio Minéral. Ce qui m’intéresse dans cette matière en tant que designer, c’est d’abord les possibilités de mises en forme qu’elle propose. La céramique rend accessibles les géométries complexes. Elle possède cette plasticité qui facilite la concrétisation des idées en réalité, des concepts en produits. Et à l’opposé des moules excessivement coûteux nécessaires à la mise en forme des polymères, la confection de ceux en plâtre destinés à la céramique est accessible et abordable. Ils n’entraînent pas l’obligation d’une production de masse pour les rentabiliser. C’est donc aussi cette autre liberté que la céramique confère : celle de faire de petite production plus ciblée pour un marché de niche sans avoir à exiger un prix exorbitant.
Avec Studio Minéral, j’ai poussé jusqu’à me promettre avec plaisir de ne faire que des séries limitées d’objets. Cette manière de faire me permet aussi de respecter plus aisément mes convictions en liant le développement durable à l’identité du studio. J’opte ainsi pour un approvisionnement local, de la matière première jusqu’à l’emballage. Je prends aussi le pari de concevoir des objets que l’on souhaite conserver longtemps pour une clientèle qui reconnaît la valeur de ces engagements. Le design industriel m’amène à approcher la matière sous un angle différent. En plus d’opter pour des techniques semi-industrielles un peu boudées, j’intègre la technologie comme la modélisation sur logiciel et l’impression 3d à ma démarche. C’est fascinant parce que malgré cette volonté de moderniser ma pratique, les caprices de la matière demeurent et sollicitent encore et toujours le savoir-faire et la maîtrise de l’artisan. Mon atelier est en quelque sorte le théâtre de la rencontre de deux mondes. Ma formation m’amène aussi à ouvrir mes horizons quant aux applications possibles de la céramique. Par exemple, je n’envisage pas de produire du kitchenware. L’offre de produits est déjà très riche et variée au Québec. Je souhaite plutôt explorer de nouveaux usages et faire connaître la céramique sous un nouvel angle. Si j’ai commencé par des accessoires mode, bientôt suivront d’autres vocations comme le mobilier et le luminaire. Si mon bagage de designer influence ma pratique, je me rends compte que la céramique bouleverse elle aussi mes acquis et transforme mon rapport à l’objet. Je me questionne sur les limites entre le design, l’artisanat et l’art. Tout en persistant dans cette volonté d’optimiser et moderniser par l’apport technologique, je réalise combien la sagesse de la main de l’artisan est irremplaçable. À travers cette production de petites séries, j’entretiens une réflexion sur l’équilibre entre l’unique et le standardisé. Je viens tout juste de m’engager sur cette voie et il me semble que la piste est délicieusement brouillée.
Formation
Baccalauréat en design industriel
Accompagnement personnalisé par des céramistes et porcelainiers