Communications CMAQ
De Lafontaine : le monde, le fil et la plume
Entrevue > Elyse De Lafontaine, artiste de la fibre et membre artisane professionnelle du CMAQ
Photos > L'artiste, Guy L'Heureux et Nicolas Chentrier
MONTRÉAL
Elyse De Lafontaine, artiste de la fibre. Elyse, merci d'avoir arrêté le temps et d'avoir accepté de te prêter au jeu de l'entrevue Matière à réflexion. Ici, pas de règles, pas de réponses justes.
Ici, on passe de la confidence au ludique, du savoir au faire… des contrastes à la lumière… À toi de jouer, allons-y!
Photos à gauche de l'artiste et à droite de Guy L'Heureux
Ta matière, le textile, pourquoi ?
Les fibres et les matières textiles occupent un rôle primordial dans mon univers. Plus je remonte le temps, plus je retrouve des traces de leur existence dans mon clan familial et dans le paysage qui m’a vu naître. Il y a tout d’abord l’aspect industriel de ma ville natale, puis l’héritage linier légué par mon père et les connaissances des tissus transmises par mère. Tout ce bagage cumulé durant mes premières années de vie a sans aucun doute grandement influencé ma pratique artistique professionnelle.
Elle évoque quoi, elle t’inspire quoi, quel est ton lien avec elle ?
Elle évoque toutes les possibilités. Je suis fascinée par l’omniprésence des matières textiles dans notre quotidien. Il me semble que les fibres et les textiles passent plutôt inaperçus pour la majorité des gens, à l’exception des vêtements que l’on porte. Les textiles sont plus qu’une simple matière, ils sont un répertoire de l’humanité, de tout temps ils ont existé. Ils soulignent chaque événement important de la vie, de la naissance à la mort. Ils sont présents en ingénierie, dans le sport, dans les moyens de transport, etc. Je crois qu’il n’y a pas un domaine où les fibres textiles ne sont pas présentes sous une forme ou une autre, car chacune possède des propriétés intrinsèques bien spécifiques. C’est assez fascinant comme constat!
Photos de Nicolas Chentrier
Que préfères-tu de ces échanges ou que souhaites-tu réaliser avec ces échanges avec le public ?
C’est à la fois très nourrissant et confrontant. Ces projets alimentent ma création, car ils m’amènent souvent sur de nouvelles pistes de réflexion et d’exploration. C’est aussi parfois confrontant parce les questions des participants peuvent être déroutantes étant donné que les réponses ne sont pas toutes connues à l’avance même si je connais les paramètres du projet.
Dans le cadre de projets d’art avec la communauté, j’apprécie particulièrement les peurs que les gens surmontent au fur et à mesure du processus de création. Un bon projet d’art avec la communauté est un projet qui s’inscrit dans le temps. Il faut du temps pour que la magie opère. Il faut mettre des choses en place, dont la confiance, car j’amène les gens dans mon processus de création, ce qui peut être déstabilisant pour certains.
Peux-tu élaborer sur ton amour des encres végétales ?
En tant qu’artiste textile, je fais de la teinture depuis les tous débuts. La couleur occupe une place importante dans mes créations. Il y a environ une quinzaine d’années, j’ai commencé à m’intéresser aux teintures naturelles. Mon intérêt pour les encres végétales est arrivé dans le cadre d’un projet de recherche, Les Murmures du Saint-Laurent, un projet amorcé en 2017. Ce projet consiste à récolter différents artéfacts sur les rives du fleuve Saint-Laurent et de les incorporer dans mon travail. Parmi les nombreuses choses que je trouve sur les berges, il y a entre autres, des plantes tinctoriales. Or, une journée de glanage, j’ai fait la découverte d’un ancien pot d’encre en verre, intact et datant de la fin du XIXe siècle. Cette magnifique trouvaille m’a fait réaliser qu’entre les teintures obtenues à partir de plantes cueillies et les encres, il n’y avait qu’un pas à faire…
Comment expliquerais-tu ton métier d’artiste textile ?
La matière avec laquelle je travaille principalement est la fibre. C’est la plus petite unité textile. On retrouve les fibres dans les plantes, et certaines sont aussi fabriquées en industrie. En mettant plusieurs fibres ensemble, et en appliquant une torsion, on obtient un fil. En croisant plusieurs fils et avec un jeu de « par-dessus et par en dessous », on obtient un tissu. Une fois le tissu obtenu, je le travaille afin d’obtenir une sculpture, une forme en trois dimensions.
Mais au fait, que t’inspire l’expression « faire des châteaux en Espagne » ?
Le droit de rêver. L’imagination possède un super pouvoir: la possibilité magnifiquement infinie qui permet d’aller hors de toute frontière.
Tu as récemment exposé de tes œuvres au Château Dufresne, félicitations pour cette belle exposition. Peux-tu nous en parler davantage ?
Madame Manon Lapointe, directrice du Château Dufresne, m’a invitée à faire une résidence en m’inspirant des riches décors du lieu. Lors de ma première visite, ce qui m’a particulièrement interpellée est la quantité de motifs présents tant dans la décoration que dans les textiles. J’ai donc joué avec les motifs en les mettant en scène et en modifiant leur échelle. Un constat particulièrement intéressant s’est faufilé : la notion du carton. En tissage, et tout particulièrement en tapisserie, le carton est le motif que l’on suit afin de réaliser le textile. Or, dans le cadre de ma résidence au Château Dufresne, sans en prendre conscience sur le coup, j’ai fait l’opération inverse : je suis partie des motifs pour arriver au carton.
Pour la suite, où rêves-tu de voir ton travail artistique … ?
J’ai hâte retrouver le banc de mon métier à tisser. Une idée linéaire fait son chemin, des tableaux plus épurés et presque monochromes : très en contraste avec tout ce que j’ai fait jusqu’à maintenant. En espérant que mes essais seront concluants afin de pouvoir amorcer un nouveau corpus d’œuvres et qui, je l’espère, se retrouvera en galerie, car il y a un moment que je n’ai pas exposé et vendu dans une galerie commerciale.
Dans la vie, es-tu plus du type à aimer « faire couler (beaucoup) d'encre » ou tu es plutôt du type à te « faire un sang d'encre » ?
Je crois que c’est me faire un sang d’encre… L’anxiété est une camarade de vie jamais très loin… Au fur et à mesure que je l’apprivoise, elle se calme.
Tu as en tête une escapade… Tu nous fais découvrir quels métiers d’art et dans quelle région ?
Les Cantons de l’Est! C’est une région foisonnante tant il y a de la création : artistes et artisans, toutes matières et techniques confondues. Ayant un faible pour la fibre, je suggère plus spécifiquement une petite visite au Moulin à laine d’Ulverton, situé sur un site enchanteur hors des grands circuits, afin d’en apprendre un peu plus sur notre héritage textile.
La dernière chose que tu viens d’apprendre ?
J’ai une nature curieuse et j’aime apprendre et connaître de nouvelles choses. Je suis un peu FOMO (Fear of missing out, soit la peur de rater quelque chose ou de manquer un événement). J’ai une quantité astronomique d’onglets ouverts sur mon ordinateur. J’espère trouver du temps pour tout lire… Avant l’ordinateur, c’était des articles papier que j’empilais, toujours avec le même espoir de lecture… Plus concrètement, j’ai appris récemment à faire du papier avec des végétaux. La boucle se referme donc : encres végétales sur du papier végétal. Et pourquoi pas comme futur projet – un parmi tant d’autres – faire une encre et du papier à partir de la même plante ?
Boomerang! À qui lances-tu l'invitation pour notre prochaine entrevue et pourquoi ?
J’invite Kino Guérin, ébéniste originaire du Saguenay et membre artisan du CMAQ. J’ai connu le travail de Kino lors du prix François-Houdé en 1999, prix que je gagnai à mon tour en 2001. Depuis, je vois son travail et l’homme évoluer. Il est situé dans les Cantons de l’Est, pas trop loin du Moulin à laine d’Ulverton…