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À sa manière > sculpter, décorer et cultiver son jardin intérieur


Entrevue CMAQ avec Marie-Eve G. Castonguay

Photos > L'artiste, Anthony McLean, Brian Medina et Eliot Wright

ModèleAnouk Desloges

MONTRÉAL

Marie-Eve G. Castonguay  — joaillière / bijoutière. Marie-Eve, merci d'avoir arrêté le temps et d'avoir accepté de te prêter au jeu de l'entrevue Matière à réflexion. Ici, pas de règles, pas de réponses justes. Ici, on passe de la confidence au ludique, du savoir au faire… des contrastes à la lumière… À toi de jouer, allons-y! 

 

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Marie-Eve G. Castonguay est une joaillière, rédactrice et commissaire basée à Montréal, Canada. Elle détient un diplôme de l’École de Joaillerie de Québec ainsi qu’un baccalauréat en beaux-arts, en conception de bijoux et en métallurgie de l’Université NSCAD, à Halifax



Ta matière (métal et / ou papier), pourquoi ?

J’adore travailler le métal, pour le rush d’adrénaline que ça m’apporte. Le niveau de précision qu’il demande lorsqu’on le scie, le lime, le plie ou le chauffe est toujours un peu stressant, puisqu’à tout moment, tu risques de passer tout droit en une fraction de seconde. Aussi bête que ça puisse paraître, je suis toujours à la recherche de ce stress. Peut-être que c’est thérapeutique, en quelque sorte. Et à l’opposé, je crois que le fait d’apporter à ma pratique des techniques répétitives, comme la broderie de pétales de papier, me permet de contrebalancer ce sentiment avec un côté méditatif.

Elle évoque quoi, elle t’inspire quoi, quel est ton lien avec elle ?

Je vois le métal comme une matière froide, difficile d’approche. Pas seulement lorsqu’on la travaille, mais aussi lorsqu’on la regarde, la touche. J’aime entretenir avec elle un dialogue dans lequel je tente de lui dicter quoi faire, alors qu’elle m’impose ses limites, ses façons de se comporter. Pour ce qui est du papier, je vois cette matière comme étant diamétralement opposée au métal, si on avait à imaginer une échelle des matières! J’aime sa fragilité, son côté éphémère, et surtout sa façon d’évoquer la nature à l’état brut. J’aime penser qu’un jour, on pourrait retrouver mes pièces enfouies dans le sol, et qu’il ne reste que des structures de métal vides, dans lesquelles il y eut jadis des broderies de papier qui se seraient dégradées avec le temps. Qu’on puisse ainsi imaginer ce qui n’est plus.

Mais au fait, que t’inspire l’expression « jardin secret » ?

Un espace à soi, le privé, l’intime, ce que l’on ne partage que très prudemment.


 

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Marie-Eve G. Castonguay est une joaillière, rédactrice et commissaire basée à Montréal, Canada. Elle détient un diplôme de l’École de Joaillerie de Québec ainsi qu’un baccalauréat en beaux-arts, en conception de bijoux et en métallurgie de l’Université NSCAD, à Halifax



Pourquoi parles-tu de sculptures miniatures quand tu évoques tes pratiques?

Je vois le bijou contemporain comme une pratique plus proche de la sculpture qu’elle ne l’est des autres types de bijoux. C’est de la sculpture qu’on a le droit de toucher! En tant que bijoutière, je ne me sens pas obligée à une matière en particulier, bien que ma formation m’ait orientée vers le travail du métal. Alors que le / la céramiste travaille l’argile, le / la maroquinier/ère le cuir, etc., je travaille l’objet en relation avec le corps, comme la sculpture est en relation avec l’espace.

Comment expliquerais-tu ton métier de joaillière / bijoutière à un enfant ?

Je mets beaucoup, beaucoup de temps à faire des objets touts petits, et pour ça il faut beaucoup de patience et de concentration, ce que je n’ai pas toujours! Et quand c’est fini, ça donne le goût aux humains de se décorer eux-mêmes!

Tu rêves de voir ton travail … ?

Je partage mon temps entre la création, la rédaction et le commissariat, toujours dans le domaine du bijou ou des métiers d’art au sens large. Bien que j’aime toujours voir mes bijoux voyager à travers le monde, j’en suis à un point dans ma pratique où j’ai envie de pouvoir exprimer mes idées à travers mes textes et projets d’exposition, ici et ailleurs. Il y a encore trop peu de théorie, de recherche et de discours critique sur les métiers d’art, et j’aimerais contribuer à nourrir la réflexion sur le domaine.


 

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Marie-Eve G. Castonguay est une joaillière, rédactrice et commissaire basée à Montréal, Canada. Elle détient un diplôme de l’École de Joaillerie de Québec ainsi qu’un baccalauréat en beaux-arts, en conception de bijoux et en métallurgie de l’Université NSCAD, à Halifax



Dans la vie, es-tu plutôt flexibilité du papier ou solidité du métal ?

Solidité du métal, sans hésitation! Et j’irais jusqu’à dire rigidité… J’aime pouvoir contrôler les choses, qu’elles soient lisses, droites, clairement définies. Dans la création comme dans la vie.

Et ... l’appartenance dans tout cela ?

La première série proprement dite que j’ai réalisée date de ma dernière année d’études à NSCAD University, en 2013. J’explorais alors la relation entre l’humain et les lieux dans lesquels il évolue, et l’idée de sentiment d’appartenance. Dans chaque pièce on retrouvait des éléments en équilibre autour d’un même point, qui oscillent pour toujours revenir au même endroit. Même si mon travail a beaucoup évolué depuis, certaines notions sont récurrentes dans toutes mes explorations. L’idée de l’attachement aux lieux, de la réponse psychologique à certains espaces selon leur organisation, etc. Les lieux auxquels on appartient forment nos manières d’interagir avec le monde, tant matériel qu’humain, et c’est ce que je tente de représenter à travers mes bijoux. Je les vois comme des petites maquettes d’espaces physiques dans lesquels chacun(e) peut se retrouver à sa manière.

La pièce ou l’expression ?

Je dirais que les deux vont ensemble. Même l’exploration la plus purement formelle qui soit provient toujours d’un désir d’expression d’une idée, que cela soit conscient ou non. Du moins, c’en est ainsi pour moi. Il m’arrive donc de comprendre mes œuvres après les avoir réalisées, comme on peut analyser nos gestes et actions du quotidien dans le but de mieux nous comprendre nous-mêmes.


 

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Marie-Eve G. Castonguay est une joaillière, rédactrice et commissaire basée à Montréal, Canada. Elle détient un diplôme de l’École de Joaillerie de Québec ainsi qu’un baccalauréat en beaux-arts, en conception de bijoux et en métallurgie de l’Université NSCAD, à Halifax



Tu as en tête une escapade … Tu nous fais découvrir quels métiers d’art et dans quelle région ?  

Il y a des artistes extraordinaires dans la ville de Québec. Je suis sans doute légèrement biaisée puisque je viens moi-même de Québec, mais il y a une créativité foisonnante là-bas, tant dans le milieu des métiers d’art, des arts visuels, du théâtre, de la musique, de la danse, etc.

 

La dernière chose que tu viens d’apprendre?

Dans la dernière année, je dirais que j’ai dû apprendre à me faire confiance et à suivre mes instincts, autant sur le plan professionnel que personnel! D’une part, je travaille sur un très gros projet de commissariat, le plus gros que j’ai entrepris jusqu’à maintenant. C’est à la fois effrayant et excitant, et ça me demande de faire confiance à mes intuitions et de mettre de côté mon syndrome de l’imposteur!


Et en parallèle, je suis aussi récemment devenue maman d’un petit humain d’à peine un mois et demi, un saut dans un monde inconnu que j’apprends à découvrir chaque jour. La plupart du temps j’ai l’impression de ne pas savoir ce que je fais, mais encore une fois j’essaie d’avoir confiance en moi-même et en la relation qui se construit entre nous deux. C’est une incroyable leçon d’humilité et de vulnérabilité que d’accepter d’apprendre tout en faisant, parfois la bonne chose et parfois la mauvaise.

Je ne suis pas encore retournée dans l’atelier depuis sa naissance, mais j’ai hâte de voir comment cette nouvelle expérience influencera ma manière de voir la création et d’appréhender mon travail. Alors que certaines matières et techniques m’ont toujours intimidée, sans doute par manque d’humilité et par crainte de ne pas réussir du premier coup, j’espère que ces nouvelles expériences me rendront plus apte à me lancer dans le vide. 

     

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Marie-Eve G. Castonguay est une joaillière, rédactrice et commissaire basée à Montréal, Canada. Elle détient un diplôme de l’École de Joaillerie de Québec ainsi qu’un baccalauréat en beaux-arts, en conception de bijoux et en métallurgie de l’Université NSCAD, à Halifax



Boomerang! À qui lances-tu l'invitation pour notre prochaine entrevue et pourquoi ?

J’aimerais proposer la céramiste Mélina Schoenborn. Son travail se situe à la frontière entre l’objet utilitaire et la sculpture, et présente une allure brute comme si ses œuvres étaient directement issues des profondeurs de la terre. J’adore l’imperfection de ses pièces, un aspect surprenamment difficile à maîtriser.


J’aimerais aussi proposer Marie-José Gustave, qui travaille aussi le papier mais à une tout autre échelle. En parlant d’humilité, je vois en son travail une grande ouverture et humilité face à une matière fragile et forte à la fois. Sa façon de l’aborder de toutes sortes de manières, par tricot, crochet, tissage, pliage ou assemblage témoigne de sa souplesse face à la matière et de sa volonté de liberté à travers la création.

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